La maladie d'Alzheimer
La maladie d'Alzheimer : autre regard, autre point de vue.
Encore une fois ici n'est partagé qu'un point de vue particulier qui ne cherche ni à débattre ni avoir raison, juste partager une vision et un vécu.
Après 3 années à côtoyer régulièrement des personnes atteintes de maladies neurodégénératives type Alzheimer entre 2017 et 2019, ce qui m'a marquée avant tout, c'est l'affamement de ces personnes, leur vide intérieur était tel que quand certains arrivaient encore à réclamer quelqu'attention, d'autres avaient déjà capitulé et attendaient une mort qui ne voulait pas venir.
Pour moi la maladie d'Alzheimer est une conséquence de l'histoire vécue et des choix de vie qui ont été posés, c'est la maladie du non-amour de soi, de la non-écoute de l'élan de vie. C'est la maladie de ceux qui se sont tellement conformer à ce qu'ils croyaient qu'on attendait d'eux, qui ont fait tellement de compromis pour recevoir quelques miettes d'amour, qu'ils se sont tout simplement niés jusqu'au point de s'oublier complètement, au point d'oublier qu'ils étaient la source même de ce qu'ils mendiaient. Pour certains, le déni est tel qu'ils clament haut et fort avoir eu une belle vie.
Pour ceux qui connaissent ma mère, je suis certaine qu'ils seraient très surpris en lisant ces mots mais ce qu'elle présentait au monde chaque jour, n'était pas elle et elle fait partie de ces personnes qui disent avoir eu une belle vie mais en réalité chaque fois que la vie est venue l'appeler vraiment, elle a fui, elle a refusé de plonger et d'aller ressentir. C'est à chaque fois la peur de …et le refus de sentir ses émotions qui ont donné la direction. Et l'enfant non désirée et blessée qu'elle a été, n'a jamais été libérée. Et masque après masque, costume après costume, l'être unique qu'elle aurait pu être, a disparu.
Je crois que la vie nous propose régulièrement des changements de direction ou plutôt nous invite à retrouver le chemin de l'amour duquel nous nous sommes détournés et à retrouver la source intarissable que nous sommes.
Pour certains humains, d'un coup l'évidence est là et ils s'engagent courageusement sur ce chemin qui paraît inconnu et escarpé, pour d'autres, l'appel n'est pas entendu ou est repoussé, et ils poursuivent la route de la négation de soi, des faux-semblants et de l'oubli.
Pourquoi ? Je crois que c'est le grand mystère qui n'est pas accessible au niveau humain.
Pour ma part, grâce à la maladie d'Alzheimer qu'expérimente ma mère, il y a un fort appel à regarder ce qu'elle vient m'apprendre, en quoi cette expérience sert.
Quand je regarde mon propre parcours, je vois clairement des points de bifurcations où une réponse a été donnée et où l'élan était plus fort que la peur. Et ce, pour répondre à des questions qui étaient là depuis le tout début :
Qu'est-ce que je fais là ?
C'est quoi être un(e) humain(e) sur Terre ?
A quoi sert cette vie ?
Pourquoi les humains qui m'entourent font tout le temps semblant ?
La question qui était très présente ces temps-ci est :
Comment puis-je aimer cette mère malade et l'accompagner au mieux ?
Oui car notre histoire n'est pas toute rose et la situation actuelle vient remettre en surbrillance tout ce qui n'a pas été conscientisé dans cette relation. C'est une invitation à aller regarder, ressentir tous les espaces de l'enfance qui ont été occultés par protection et qui sont restés en attente d'une réponse, d'une écoute, d'un accueil, tous ces espaces qui ont été percutés par un amour conditionné, qui donc, n'ont pas reçu l'amour tant attendu et qui se sont retrouvés sidérés.
Et je savais lorsque je me suis engagée dans cette aventure de voir ma mère au quotidien que c'était un de ces rendez-vous incontournables que la vie propose et qu'il n'y avait pas de deuxième chance, c'était maintenant !!!
Au fur et à mesure des prises de conscience et de ce qui se révèle, je vois où l'amour circule entre nous. Par moment une partie de moi la déteste et voudrait qu'elle ne soit plus là, juste pour ne pas ressentir l'intensité des émotions et sentiments présents et lorsque je fais un pas de recul et que je parviens à me décoller de la situation, c'est une gratitude profonde qui prend place pour tout ce qui est en train de se vivre et toutes les libérations que cela permet.
La première sensation que j'ai eu à rencontrer et qui faisait monter beaucoup de colère et de rage c'est l'impuissance qui était en résonnance avec une volonté enfant de vouloir sortir cette mère de sa tristesse, de son insatisfaction, de son propre gouffre. Comme beaucoup d'enfants, j'ai épongé les émotions de cette mère pensant la soulager et la rendre heureuse, tellement que je vomissais régulièrement et lorsque la charge était trop importante je tombais dans les pommes.
Aujourd'hui pour rencontrer pleinement cette sensation d'impuissance à sauver cette mère, la maladie d'Alzheimer est parfaite puisqu'il n'y a strictement rien à faire, même les médecins sont sans réponse, c'est une maladie qui avance, il y a autant de types d'Alzheimer qu'il y a de personnes atteintes et elle ne se soigne pas.
Une opportunité formidable de sortir définitivement du fameux triangle de Karpman et voir vraiment que chacun est pleinement responsable de sa propre parcelle de vie.
Et donc chaque jour je m'assois face à cette femme, et je vois qu'à part être avec elle en étant juste Cécile, je ne peux rien faire d'autre.
Il est maintenant très clair pour moi que je n'ai pas à essayer de soulager ou de prendre sur moi ses souffrances, ce n'est pas mon rôle. Et cela se décline évidemment sur toute autre relation.
Le contrat ici est de la reconnaître complète, responsable et de la voir vraiment.
L'autre angle que cela m'amène à regarder c'est celui de toutes les fois où je m'oublie, je me dis non et qui est finalement aussi une déclinaison d'un espace de non-amour et de ce fameux sauveur, cette manière d'exister en s'occupant des autres tout en occultant ses propres dossiers en attente. Toutes les fois aussi où j'ai joué un rôle, où j'ai souri juste pour répondre à l'autre, toutes les fois où je restreins mes mots pour ne pas choquer ou blesser, toutes les fois où j'ai fait la conversation par convenances, toutes les fois où je ne suis pas cet unique qui appelle.
Et j'observe depuis quelque temps qu'il ne m'est plus possible d'agir de la sorte sans le voir de suite et là, le silence s'impose. Ce silence que je connais, profond, plein et pourtant, qu'il me faut réapprivoiser, car je constate parfois de mon côté une sorte de malaise causé par des pensées qui passent lorsque ce silence est la seule réponse face à un « autre ».
L'expérience est riche et intense mais l'élan l'est tout autant à retrouver la pleine liberté.
Je finirais sur la maladie d'Alzheimer qui pour moi ressemble beaucoup à une maladie auto-immune. Au sens où le système de protection qui fait partie de la structure humaine et qui sert dans un premier temps à ce que l'enfant puisse vivre le mieux possible son arrivée sur terre et les premières années, et bien c'est comme si à un moment de la vie, ce système qui, à l'âge adulte devrait progressivement s'affaiblir et laisser sa place à l'être unique que nous sommes, avait fini par occuper tout l'espace. En faisant cela, bien sûr, il obtient une grande quantité d'attention et d'énergie venant de l'extérieur mais ce qu'il ne voit pas, c'est qu'il signe en fait son propre arrêt de mort, puisqu'au travers de la maladie d'Alzheimer, il perd toute possibilité de contrôle, et vit comme une auto-destruction au travers de la perte d'autonomie.